ENTRAIDE     PARTAGE     AUTONOMIE     BIFURCATION


TOUS DEHORS


2


207/09/2022
Nan Marci

Nan Marci fait de l'illustration, de la poésie et de la littérature critiques et féministes. Vous pouvez, d’ailleurs, retrouver son travail ici. Nous vous présentons ici un extrait d’un de ses projets d’écriture en cours de rédaction. Nous espérons que ses mots sauront vous toucher autant qu’ils ont touché notre rédaction.

Ce texte est issu d'un projet littéraire en cours qui alterne entre trois formes principales : la poésie, la phénoménologie et la critique sociale. L'objet est de marquer la langue commune, comme les chiens pissent pour se marquer dans un espace inconnu, en y traçant les expériences singulières qui définissent un certain vécu du monde social et qui sont le plus souvent inaudibles : cachées sous des expressions mensongères des rapports sociaux, mais aussi masquées dans et par leur expression même, parce que la langue fait mentir. Il s'agit de casser la langue à la mâchoire pour se faire de la place dedans.

-----------

Capitalisme : le mot que j’emploie est celui des bouchent qui cherchent à en déterminer les contours comme on fait le bilan d’une catastrophe naturelle (difficile, décombres, et tout). La bouche nomme avec crainte l’objet, le délimite, la bouche nomme un vague opaque, une catastrophe à saisir. Toutes les bouches qui ignorent la difficulté (décombres, et tout) sont des bouches qui ne disent proprement rien.

Capitalisme n’est pas un mot du jour, un mot clair ouvert et visible, ce n’est pas le mot du travail seulement, du chômage, de la misère seulement, de l’argent de la propriété seulement, du travail vivant-travail mort de la baisse tendancielle du taux de profit, de l’extraction de plus-value de la sur-value plus-valeur gnégnégné et tout, pas seulement. Les rapports sociaux catastrophiques et meurtriers sont vagues d’être hauts brume et profonds racine, et les peaux tannées ce sont les nôtres, les nôtres qu’on porte, les peaux qu’on est.

Il est pas facile en bouche ce mot, c’est pas facile à nommer, et ça coute cher de le nommer dans toute son étendue, d’en faire le tour, de le délimiter, ça coute cher d’énumérer tout ce qui en relève, tout ce qui en participe. Arrêtez de mentir à pleine bouche à ce propos, et de crier « rage » comme si la rage faisait collectif, c’est pas vrai. On est toutes cassées. Le collectif est déjà mort, et c’est pas grave, mais : il faut partir de là, sinon mensonge.

Y a rien de performatif dans la langue qui doit nous occuper.

Il faut dire les choses comme elles sont. C’est de là qu’on part, et c’est ce qui compte le plus, parce que c’est là qu’on se fait niquer. On se fait jamais niquer sur les projets, sur les enthousiasmes, on se fait niquer sur la vague organique de corps carcassés qui s’abat sans cesse sans cesse sans cesses sur les toujours même (les nôtres) et qui est ce qui est là, qui est ce qui est, la réalité.

vvrRrRrR mort

vvVvVRrRr mort

vVvvRRrr mort la réalité comme une pompe

Ça roule réalité sans cesse qui tout carcasse – te trompe pas, regarde pas de l’autre côté, regarde droit dedans, aie pas peur des morts, aie pas peur des cadavres carcassés, la chose qui est telle qu’elle est, il importe de la nommer telle qu’elle est.

Regarde face : capitalisme c’est ta mère, ton père, tes goûts, ton amour, ton bonheur, ton sentiment de vérité brut, ton désir, comment tu jouis vraiment, bien, pas aux yeux des autres, mais pour toi, ta nostalgie mouillée, les moments que tu as aimé vraiment.

C’est le travail d’une vie d’arracher sa vie au capitalisme. T’as toute ton intimité dedans. Pas celle de la toilette intime. Celle du cœur primitif qui te fait houle au torse, eau aux yeux, c’est l’air qui soulève ton torse. C’est ta vie qui appartient à ce monde. Soit prête à t’arracher de toi-même. Deviens une personne.

Tu ajoutes au cauchemar si tu ne fais pas de toi une personne.