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08/04/22
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30/04/22
Henry Wallis
Traduction M. K.
À la suite du démantèlement de
l'Union soviétique, les territoires anciennement constitutifs de l'URSS ont été
soumis aux intérêts occidentaux. L'Ukraine s’est par exemple séparée de son
stock d’armes nucléaires en échange d’une vague promesse de protection de la
part des gouvernements occidentaux. La Russie, quant à elle, a été amenée à
accepter l'adhésion de l'Allemagne réunifiée à l'OTAN en échange de garanties quant
à une expansion future limitée de l’alliance. Les élites russes et ukrainiennes
espéraient alors se rapprocher des puissances de l’ouest et intégrer l'OTAN et l'Union
Européenne. Ces promesses ont été brisées et les espoirs qu’elles renfermaient
déçus. Au lieu d'un nouvel ordre mondial fondé sur des règles prévisibles et
négocié pacifiquement par le biais d'institutions internationales, le XXIe
siècle a été marqué par des action unilatérales de la part des pays de l’ouest
(Irak, Afghanistan, Lybie, Yémen).
Récemment, on a beaucoup parlé
des prétendues convictions personnelles de Vladimir Poutine. Bien qu'il soit le
commandant suprême de l'invasion russe en Ukraine et donc directement
responsable de ce bain de sang, il apparaît comme faible et diminué. S’il
venait à perdre le pouvoir, la même réalité géopolitique fondamentale
s’imposerait à son remplaçant. Décrire Poutine n’est pas bien difficile, c’est
un gangster, un voyou et un tueur. Sa vision du monde est manifestement une
justification a posteriori de tout ce qu’il juge nécessaire pour consolider son
pouvoir. Comme Vladimir Pozner et d'autres l'ont souligné depuis de nombreuses
années, le régime de Poutine est lui-même un sous-produit de l'échec de la politique
occidentale : à mesure que son exclusion du concert des nations se renforçait,
le gouvernement russe a adopté une politique de plus en plus agressive et
autoritaire.
Cette occasion manquée d’un rapprochement
avec la Russie n'est rien en comparaison de la trahison de l'Ukraine par
l'Occident. En 1996, le Mémorandum de Budapest voulait offrir des garanties de
sécurité de la part des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Russie à la
Biélorussie, au Kazakhstan et à l'Ukraine en échange de leur renonciation aux
armes nucléaires. Aucun de ces trois pays n'a depuis été intégré à l'Union
Européenne. Tous trois ont ensuite été soumis à l'hégémonie régionale russe.
L'Occident n'a pas réussi à élaborer une politique cohérente, en particulier à
l'égard de l'Ukraine. Le tristement célèbre enregistrement de la diplomate
américaine Victoria Nuland s'exclamant « Fuck the EU » a révélé les
divisions internes de l'Occident quant à
la crise ukrainienne, tout comme l'échec des accords de Minsk à garantir une
paix durable. Les Occidentaux ont tergiversé durant des années, laissant croire
à l'Ukraine qu'ils la soutiendraient dans les moments difficiles. Ce rêve
ukrainien a été mis en scène par l'humoriste Zelensky dans un sketch où le
président reçoit enfin l'appel de Bruxelles lui souhaitant la bienvenue dans
l'Union européenne, mais se rend compte qu'il s'agissait en fait de féliciter
le président du Monténégro. L'ambivalence occidentale se manifeste tragiquement
aujourd’hui, alors que l’on voit les villes ukrainiennes dévastées et les
millions de réfugiés jetés sur les routes de l’exil.
La liberté et la démocratie sont abstraitement
prônées comme des valeurs européennes éternelles, alors que le prix du gaz reste
tranquillement et soigneusement déterminé. L'Ukraine est un pays pauvre qui
s'appauvrit de jour en jour - quel intérêt la bourgeoisie allemande aurait-elle
à s'alourdir d'un autre pays pauvre en échange d'un carburant plus cher ? La
Grande-Bretagne a quitté l'UE en partie à cause du ressentiment à l'égard des
immigrants d'Europe de l'Est, et elle n'a guère montré son intention d'en
accueillir d'autres. Le président Biden a fait des déclarations floues à
Varsovie, que Moscou a interprétées comme un appel au changement de régime en
Russie et que les responsables de la Maison Blanche se sont empressés de
nuancer. Alors que l'Occident a adopté des sanctions économiques contre la
Russie et acheminé des armes vers l'Ukraine, les appels à l'aide des Ukrainiens
sont restés sans réponse. Jusqu'à présent, Kyiv a été jugée comme ne valant pas
le risque d'une guerre nucléaire. L'Ukraine a été livrée à la destruction dans
un conflit qui aurait pu être évité si l'Occident s'était engagé dans le
processus de paix de Minsk, négocié par la France et l'Allemagne. Il n'y a pas
de politique occidentale cohérente ou rationnelle à l'égard de l'Ukraine. Le
résultat est une guerre absurde, et il n'y a pas de solution claire pour en
sortir.
Les mêmes contradictions qui ont
créé les conditions de cette guerre la perpétuent. Le régime de Vladimir
Poutine n'a pas d'alternative en Russie. Les points de friction des accords de
Minsk sur les concessions territoriales dans le Donbass et en Crimée restent
non résolus. La Russie est trop faible pour simplement contraindre l'Ukraine à
se soumettre. L'Ukraine est trop faible pour empêcher l'incursion russe sur son
territoire. L'Occident ne veut pas demander la paix et est incapable de
défendre l'Ukraine, et la guerre dévore chaque jour davantage de vies. Le projet
d’un ordre international libéral n'est pas mort, c'est la mort même. Il ne
porte aucun espoir d’un monde meilleur, enfin libéré de la guerre. L'idéalisme
bourgeois des chrétiens et des sociaux-démocrates qui a donné naissance à
l'Union européenne a conduit au désastre. Penser que Poutine est le problème et
que le fait de l’éliminer de l’échiquier politique remédierait à la situation
est une erreur d’analyse fondamentale. De même que la destitution de Bush n'a
pas empêché l'Amérique de décimer l'Asie occidentale et que le renversement des
hommes forts lors du printemps arabe n'a pas conduit à une floraison
démocratique, vaincre la Russie dans cette guerre est insuffisant. L'ordre
mondial actuel ne peut que produire davantage de catastrophes, comme en Syrie
depuis une décennie et en Ukraine aujourd’hui.
Cet article a d’abord été publié en anglais sur le blog de l’auteur.
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08/04/22

30/04/22
Henry Wallis
Traduction M. K.
À la suite du démantèlement de l'Union soviétique, les territoires anciennement constitutifs de l'URSS ont été soumis aux intérêts occidentaux. L'Ukraine s’est par exemple séparée de son stock d’armes nucléaires en échange d’une vague promesse de protection de la part des gouvernements occidentaux. La Russie, quant à elle, a été amenée à accepter l'adhésion de l'Allemagne réunifiée à l'OTAN en échange de garanties quant à une expansion future limitée de l’alliance. Les élites russes et ukrainiennes espéraient alors se rapprocher des puissances de l’ouest et intégrer l'OTAN et l'Union Européenne. Ces promesses ont été brisées et les espoirs qu’elles renfermaient déçus. Au lieu d'un nouvel ordre mondial fondé sur des règles prévisibles et négocié pacifiquement par le biais d'institutions internationales, le XXIe siècle a été marqué par des action unilatérales de la part des pays de l’ouest (Irak, Afghanistan, Lybie, Yémen).
Récemment, on a beaucoup parlé des prétendues convictions personnelles de Vladimir Poutine. Bien qu'il soit le commandant suprême de l'invasion russe en Ukraine et donc directement responsable de ce bain de sang, il apparaît comme faible et diminué. S’il venait à perdre le pouvoir, la même réalité géopolitique fondamentale s’imposerait à son remplaçant. Décrire Poutine n’est pas bien difficile, c’est un gangster, un voyou et un tueur. Sa vision du monde est manifestement une justification a posteriori de tout ce qu’il juge nécessaire pour consolider son pouvoir. Comme Vladimir Pozner et d'autres l'ont souligné depuis de nombreuses années, le régime de Poutine est lui-même un sous-produit de l'échec de la politique occidentale : à mesure que son exclusion du concert des nations se renforçait, le gouvernement russe a adopté une politique de plus en plus agressive et autoritaire.
Cette occasion manquée d’un rapprochement avec la Russie n'est rien en comparaison de la trahison de l'Ukraine par l'Occident. En 1996, le Mémorandum de Budapest voulait offrir des garanties de sécurité de la part des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la Russie à la Biélorussie, au Kazakhstan et à l'Ukraine en échange de leur renonciation aux armes nucléaires. Aucun de ces trois pays n'a depuis été intégré à l'Union Européenne. Tous trois ont ensuite été soumis à l'hégémonie régionale russe. L'Occident n'a pas réussi à élaborer une politique cohérente, en particulier à l'égard de l'Ukraine. Le tristement célèbre enregistrement de la diplomate américaine Victoria Nuland s'exclamant « Fuck the EU » a révélé les divisions internes de l'Occident quant à la crise ukrainienne, tout comme l'échec des accords de Minsk à garantir une paix durable. Les Occidentaux ont tergiversé durant des années, laissant croire à l'Ukraine qu'ils la soutiendraient dans les moments difficiles. Ce rêve ukrainien a été mis en scène par l'humoriste Zelensky dans un sketch où le président reçoit enfin l'appel de Bruxelles lui souhaitant la bienvenue dans l'Union européenne, mais se rend compte qu'il s'agissait en fait de féliciter le président du Monténégro. L'ambivalence occidentale se manifeste tragiquement aujourd’hui, alors que l’on voit les villes ukrainiennes dévastées et les millions de réfugiés jetés sur les routes de l’exil.
La liberté et la démocratie sont abstraitement prônées comme des valeurs européennes éternelles, alors que le prix du gaz reste tranquillement et soigneusement déterminé. L'Ukraine est un pays pauvre qui s'appauvrit de jour en jour - quel intérêt la bourgeoisie allemande aurait-elle à s'alourdir d'un autre pays pauvre en échange d'un carburant plus cher ? La Grande-Bretagne a quitté l'UE en partie à cause du ressentiment à l'égard des immigrants d'Europe de l'Est, et elle n'a guère montré son intention d'en accueillir d'autres. Le président Biden a fait des déclarations floues à Varsovie, que Moscou a interprétées comme un appel au changement de régime en Russie et que les responsables de la Maison Blanche se sont empressés de nuancer. Alors que l'Occident a adopté des sanctions économiques contre la Russie et acheminé des armes vers l'Ukraine, les appels à l'aide des Ukrainiens sont restés sans réponse. Jusqu'à présent, Kyiv a été jugée comme ne valant pas le risque d'une guerre nucléaire. L'Ukraine a été livrée à la destruction dans un conflit qui aurait pu être évité si l'Occident s'était engagé dans le processus de paix de Minsk, négocié par la France et l'Allemagne. Il n'y a pas de politique occidentale cohérente ou rationnelle à l'égard de l'Ukraine. Le résultat est une guerre absurde, et il n'y a pas de solution claire pour en sortir.
Les mêmes contradictions qui ont créé les conditions de cette guerre la perpétuent. Le régime de Vladimir Poutine n'a pas d'alternative en Russie. Les points de friction des accords de Minsk sur les concessions territoriales dans le Donbass et en Crimée restent non résolus. La Russie est trop faible pour simplement contraindre l'Ukraine à se soumettre. L'Ukraine est trop faible pour empêcher l'incursion russe sur son territoire. L'Occident ne veut pas demander la paix et est incapable de défendre l'Ukraine, et la guerre dévore chaque jour davantage de vies. Le projet d’un ordre international libéral n'est pas mort, c'est la mort même. Il ne porte aucun espoir d’un monde meilleur, enfin libéré de la guerre. L'idéalisme bourgeois des chrétiens et des sociaux-démocrates qui a donné naissance à l'Union européenne a conduit au désastre. Penser que Poutine est le problème et que le fait de l’éliminer de l’échiquier politique remédierait à la situation est une erreur d’analyse fondamentale. De même que la destitution de Bush n'a pas empêché l'Amérique de décimer l'Asie occidentale et que le renversement des hommes forts lors du printemps arabe n'a pas conduit à une floraison démocratique, vaincre la Russie dans cette guerre est insuffisant. L'ordre mondial actuel ne peut que produire davantage de catastrophes, comme en Syrie depuis une décennie et en Ukraine aujourd’hui.
Cet article a d’abord été publié en anglais sur le blog de l’auteur.