ENTRAIDE     PARTAGE     AUTONOMIE     BIFURCATION


TOUS DEHORS


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7/07/2022
Gilles Deleuze

01/10/2022
Maxence Klein

C’est la rentrée, mais ça ne va pas très fort. Vous n’allez pas très bien, mais ne l’oubliez pas, vous n’êtes pas seuls. Nous sommes tous dans le même bateau après tout.

C’est donc reparti pour une année qui s’annonce corsée. L’été a été très chaud. Le vivant se meurt, mais ça, on le savait déjà depuis longtemps. Par contre, on commence doucement à réaliser que ça va être l’enfer. Canicules à répétition, incendies, jardins essorés, le jaune a remplacé le vert jusqu’aux paysages bretons. Il a fait très très chaud. La guerre s’intensifie en Ukraine et les fronts s’entrechoquent jusqu’à la centrale de Zaporijia. On ne se sent pas très bien d’ailleurs, parce que c’est un peu aussi la rentrée de l’anthropocène. La Chine comme l’Europe connaissent une sècheresse extraordinaire, alors que le Pakistan se noie sous une mousson hors du commun. En Afghanistan, tout le monde meurt de faim, parce qu’en se retirant, les États-Unis ont aussi bloqué tous les actifs du gouvernement afghan. Nos sœurs américaines s’habituent à vivre sous un gouvernement qui laisse aux États le soin de choisir s’ils interdisent l’avortement ou non. Le gouvernement anglais, tout à sa perfidie habituelle, entend bientôt expulser des sans-papiers au Rwanda.

Une première bonne nouvelle toutefois, la question du changement climatique est en train de perdre son caractère controversé. Elle désigne une ligne de fragmentation entre deux fractions irréconciliables à l’échelle globale. D’une part, il y a ceux qui entendent continuer comme si de rien n’était, quitte à envisager de déménager sur une autre planète à l’occasion. Ils nous rabâchent sans arrêt les mêmes inepties. Leur « transition énergétique » est une affaire d’experts et d’économistes. Les masses incultes, les gens du commun, vous qui nous lisez, donc, n’y comprenez rien et feriez bien de prendre un crédit de plus en prévision d’un hiver qui s’annonce bien froid. De l’autre côté, il a ceux et celles qui se lèvent pour les prochaines générations. En France, il y a les Soulèvements de la terre qui s’organisent et qui entendent bien passer à l’attaque. Il y a aussi ce mouvement de désertion sourd dont la presse se fait parfois écho quand, par exemple, les enfants chéris de la future élite technique du capital décident de bifurquer durant leur remise de diplôme. En Allemagne, 6 000 personnes ont pris le centre-ville d’Hambourg pour y installer leur « System Change Camp » et manifester leur hostilité à l’industrie gazière. À Turin, l’embryon d’une internationale écologiste tente de fédérer les mouvements européens et réunit des jeunes de toute l’Europe.

Seconde bonne nouvelle de la rentrée, on assiste à un regain des luttes populaires offensives. Ça grouille et ça fourmille un peu partout. Cet été, le Sri Lanka a connu une des insurrections les plus prometteuses du 21e siècle. Vous pouvez d’ailleurs lire l’article de Sandesh Prasad que nous publions à ce propos cette semaine. Plus près de nous, l’Angleterre est traversée par une grève d’une ampleur comme elle n’en avait pas connue depuis presque quatre décennies. Là-bas, on parle d’un « été du mécontentement ». Cheminots, dockers, éboueurs, fonctionnaires et personnels de l’éducation demandent des hausses de salaire pour répondre à un taux d’inflation qui avoisine entre 10 et 12 % selon les indicateurs.

C’est que toutes les attentions se portent en ce moment sur la question des prix. On s’apprête en Europe à la possibilité de vivre comme au Liban, où ceux qui le peuvent, c’est-à-dire les plus riches, payent 65 euros un café chez Starbucks. Selon le récit de la doxa officielle du clan économique, l’inflation actuelle est la résultante d’un déséquilibre entre une demande stimulée par les gouvernements durant l’épidémie de Covid-19, une offre limitée par une rupture dans les chaînes d’approvisionnement mondialisées et les premiers effets de la guerre en Ukraine sur les prix de l’énergie et des matières premières. D’aucuns se diraient que nous payons actuellement les pots cassés de la gestion de la crise économique de 2008-2009 et des politiques de création monétaire qui ont suivi. Derrière l’inflation, la récession n’est jamais loin, mais c’est surtout la misère des plus pauvres qui se fait jour. Nous sommes donc prêts à parier que l’automne risque lui aussi d’être chaud. Une fois remis du retour au turbin, n’oubliez donc pas de soigner vos relations avec vos amies, vos collègues et vos voisins, car ce n’est pas la même chose de pester dans son coin que de manifester collectivement sa colère.

Pour une fois, nous pouvons prendre exemple sur nos voisins d’outre-Manche. En prévision d’une envolée des tarifs de l’électricité et du gaz, toujours en Angleterre, l’initiative Don’t Pay est en train de construire un mouvement populaire et massif de grève des paiements. Lorsqu’ils seront un million à avoir rejoint la plateforme, ils arrêteront tout bonnement de payer des factures délirantes. Si ça ne suffit pas, ils annoncent aussi être prêts à prendre la rue et à agir en conséquence. Vous pouvez d’ailleurs lire leur manifeste sur notre site.

On espérera donc que cet état de mélancolie qui gagne tout un chacun à la fin de l’été est en passe de se transformer en une saine colère. À très vite les ami.e.s.