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TOUS DEHORS


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08/04/22

18/04/22
H. V.

On se plaint depuis maintenant deux décennies que les jeunes ne votent plus et qu’ils se désintéressent en masse de la politique et de la démocratie. Contre ces préjugés de “boomers”, H., jeune contributrice de Tous Dehors, a décidé de prendre la plume. En toute honnêteté, elle a voulu revenir sur les raisons de son abstention dimancher dernier. 

A un moment de la soirée électorale, j’ai un peu regretté, c’est vrai. Happée par le jeu de l’élection, les messages de reproche de mes plus ou moins proches, le succès d’un Jean-Luc Mélenchon qui ne m’est pas tout à fait antipathique ou encore les stories instagram ciblées contre les abstentionnistes (« Vous ne pourrez pas venir vous plaindre si on a un-e président-e raciste, misogyne et homophobe ! »), la pensée m’a effleurée que peut-être, finalement, il aurait fallu y aller – juste au cas où.

J’avais voté à gauche en 2017, alors que je venais tout juste d’obtenir le fameux « droit de vote », dont j’étais fière de faire un usage citoyen, responsable et juste. Déposant mon bulletin de vote dans l’urne, j’avais naïvement l’impression d’agir pour un monde meilleur, de me battre pour mes convictions, de participer indirectement à la lutte contre les violences faites aux minorités. Aujourd’hui, cette phrase sonne comme une mauvaise blague – c’est peu de dire que beaucoup de choses ont changé depuis.

Depuis 2017, j’ai enchaîné les déconvenues et les découvertes politiques. Tandis que le mandat d’un Macron pour qui je m’étais résignée à voter au second tour à l’occasion d’un énième « vote barrage » horrifiait de plus en plus les foules de tous bords politiques, que les collages contre les féminicides se multipliaient dans les rues sans susciter une quelconque action concrète de l’État et que les rapports du GIEC sur le désastre écologique en cours devenaient de plus en plus alarmants, j’ai compris que la politique, à laquelle j’avais été si fière de participer à tout juste 19 ans, n’était rien de plus qu’une grande foire aux guignols. Il s’agissait sans doute d’une désillusion politique comme une autre ; on est trop sérieux quand on a 19 ans. On pourrait d’ailleurs croire que ce type de constat a mené à ma dépolitisation, à faire de moi une femme du ressentiment, ruminant sans cesse une lutte imaginaire contre un « ennemi méchant ».

Or, si je n’ai pas voté en 2022, ce n’est pas seulement pour une raison différente de cette dernière hypothèse, mais pour la raison inverse : c’est justement parce qu’entre temps, je me suis politisée que j’en suis arrivée à la conclusion que le vote n’était qu’un jeton supplémentaire dans le jeu de la machine républicaine, et que jouer le jeu du vote revenait à valider de l’intérieur un système que je déteste et qui nous déteste.

Allez voter, c’est faire et exprimer un choix parmi une offre disponible ; que l’on vote à gauche, à droite ou blanc, par le simple fait de voter, on valide implicitement le cadre dans lequel ce choix nous est offert : la prétendue-démocratie-prétendument-représentative. En votant, même blanc, je dis : « ce système me convient à peu près, mais les candidats au trône ne me conviennent pas. » Au mieux, on espère changer le système de l’intérieur ; comme si la machine était bien pensée, avec quelques petits détails à revoir – comme une appréciation que l’on mettrait sur une copie d’élève : « Ensemble un peu terne, mais de bon aloi. ».

Voter, c’est aussi et surtout un moyen de se donner l’illusion de participer à quelque chose qui, pendant cinq ans, s’apprête de toute façon à nous étouffer. Alors on dépose gentiment son bulletin dans l’urne, tous les cinq ans, puis on lève les mains et on dit : « C’est fini. On reviendra dans cinq ans, ou peut-être dans quelques mois, aux élections législatives, si nous n’avons pas perdu la foi d’ici là ». On vient de déléguer notre pouvoir à plus haut placé que nous, à plus riche que nous, certainement pas en tout cas à plus intelligent que nous, et on s’en frotte les mains. On vient de se débarrasser de la politique ; on vient de choisir nos représentants, parmi les grands bourgeois qui ont le moins peur du ridicule, et, une fois représentés par eux, on s’indigne, on joue la colère, on choisit celui qu’on préfère et celui qu’on déteste, bref : le théâtre se met en place. Le spectacle, nous disait François Bégaudeau dans une récente interview, n’est pourtant pas une mauvaise chose en soi ; le problème, c’est que même la pièce que nous avons choisi de jouer est intrinsèquement ratée. Les incohérences s’accumulent dans le scénario, les personnages sublimes sont grotesques, les acteurs et les actrices jouent faux, les décors sont lourds et laids – et l’on applaudit comme devant un Shakespeare.

On est parfois tenté de se dire que, si l’on ne vote pas pour soi, alors il faut au moins voter pour les autres – car, pense-t-on, il y a quand même des gens pour qui cette élection va changer quelque chose. En général, on pense aux migrant-es, aux sans-abri, aux minorités d’une manière générale. C’est peut-être vrai. J’attends encore le ou la président-e qui sortira définitivement les sans-abri de la rue, qui accueillera dignement les migrant-es et les réfugié-es. J’écris « j’attends encore » par ironie bien sûr ; en vérité, je n’attends plus. Je préfère à l’inaction concertée de l’État les liens de solidarité directe, les réseaux d’entraide et d’accueil. Puisque, même sous des gouvernements dits « de gauche », l’État n’a jamais rien fait pour accueillir les migrant-es, pour loger les SDF et venir en aide à celleux qui en ont besoin, je pense qu’il est plus judicieux de s’organiser directement : faire des collectes, participer à des mises à l’abri, héberger celleux que l’on peut héberger. Car ces actions indispensables en restent systématiquement au stade de promesses électorales – et la réalité, hors de la salle de spectacle, est insoutenable. Et je me refuse à choisir « le moins pire » ; tant que l’on choisira « le moins pire », on validera encore et toujours, peut-être sans s’en rendre compte, la pseudo-démocratie-pseudo-représentative.

C’est précisément pour cette raison que je ne suis pas allée voter. Je n’ai plus envie de me ranger du côté de la réforme, de me contenter de ce que l’on me donne, de faire semblant de croire un peu aux promesses des comédiens-candidats, en attendant et en espérant mieux. Voter est devenu pour moi le choix de la passivité.

Les véritables luttes se jouent ailleurs. Je ne veux plus déléguer ma responsabilité à des irresponsables ; je préfère agir au quotidien, avec des vraies personnes, dans des vrais lieux ; m’organiser directement avec mes ami-es, mes proches, mes voisin-es, pour me battre contre un dispositif étatique basé sur la hiérarchisation des êtres humains. Je n’irai plus débattre avec un bout de papier dans l’isoloir. Pour paraphraser Jean Genet : je pourrais m’écrier « Vive la France ! » pour sauver ma peau – mais alors je mourrais de honte.