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19/10/22
D’un quelconque agent de liaison
Hier, mardi 18 octobre
2022, était annoncé une journée de grève dans le secteur de l’énergie et dans les services
publics. Localement, il a été décidé, par les syndicats appelant
à la grève, de mener simultanément plusieurs piquets de grève.
Chaque groupe est amené à discuter, se reformer, pour
penser ce qui vient. Les principaux piquets de grève sont au lycée
pro Aristide Briand, à la gare pour les cheminots, à la CPAM, sur
le chantier naval. Il y a d'autres piquets dans d'autres boites un
peu partout autour. Nous décidons de nous rendre à ces
rassemblements, pour faire lien, entendre ce qui y est dit, pour
prendre part, logiquement.
8h45 : on se rend au lycée A. Briand,
bloqué par les étudiants. Nous arrivons sur place, une petite bande
de flics gaz à tout-va. Sur place quelques membres de la CGT. On
nous explique que les jeunes se sont fait gazer dès 7H30 ce matin.
Les flics présents sur place semblent bien excités, on ne comprend
pas trop pourquoi. Pourquoi tant de grenades lancées ? L'un des
uniformes semble confondre son métier avec celui de dératiseur tant
il se met, seul, à saturer une petite ruelle de gaz. Les flics sont
devant le lycée. On les invective. On leur précise (au cas où)
qu'ils sont en train de dégommer des enfants, des étudiants, des
étudiants en grève, qui ont des choses à dire. L'un des
nervis en uniforme nous précise toujours aussi nerveusement que ce
ne sont pas des étudiants, mais des étudiants en puissance. Un ami
a entendu « assassins en puissance ». Le commissaire
arrive. Vu le nombre de grenades lancées, on commence à crier un
peu fort. On demande si c'est ça l'égalité, on demande si c'est ça
« à arme égales », l'un deux justifie l'acharnement
armé par le fait que les jeunes jettent des cailloux. On constate
qu'un caillou jeté correspond à une ou deux salves de multiples
grenades, alors que l'air était déjà saturé de gaz. Il faut
savoir que le lycée A. Briand est au milieu d'une cité étudiante.
Ici, il y a des enfants, des mamans avec des poussettes, et des bébés
dans les poussettes. Enfin, vous connaissez sûrement le tableau, qui
n'a d'ailleurs aucun sens. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le
blocus a été gazé dès 7H30 du matin, et suite à cela, les jeunes
se sont énervés comme ils pouvaient, ils s'en sont donc pris au
mobilier urbain, puis on dressé une barricade. Barricade qui tiendra
presque toute la journée. Sur place une journaliste semble trouver
normal qu'en réponse à un cailloux les flics tirent sur les
étudiants. Avec de tel relais de l'autorité bas du front, on peut
s'attendre à plusieurs articles foireux dans les journaux, ce qui ne
manquera pas d'arriver. La journée commence comme ça. Déjà, nous
sommes témoins d'un mensonge. Nous quittons ce piquet de grève aux
alentours 10h pour rejoindre la gare. Au moment où nous partons, les
flics semblent se croire dans Call of Duty, l'un d'eux
constate qu'ils ont laissé leur voiture à 50 mètre un peu loin
d'eux, moment de solitude. Le plus dégouttant, ça reste leur
justification à leurs tirs incessant. On justifie toujours des actes
terribles par des mensonges.
10H30 environ: devant la gare, l'AG des
cheminots, avec sur la place la présence de différents corps de
métiers, dont quelques blouses blanches, puis des non-encartés
aussi. Prises de parole, la situation locale et nationale est
explicitées. On parle de la nécessité de reconduire ce qui
s'entame là, que le combat risque d'être long, et dur, et qu'il
faudrait s'organiser (ou se réorganiser) en conséquence. Pas grand
chose à dire de plus. Nous prenons le chemin direction le piquet de
grève de la CPAM.
11H15 : devant la CPAM, AG également,
prises de parole, constat partagé de la destruction de l'ensemble
des services publics. On nous apprend que pas loin, à la cité
étudiante, lycée A. Briand, ça regaz sévère. On apprend
également sur place que l'AG interprofessionnelle qui était prévue
devant le lycée est finalement annulée, car « là-bas c'est
tendu », « difficile d'accès ». Mais rien n'est
joué. Pendant ce temps, à 800 mètres, les jeunes tiennent, mais de
nombreux flics sont arrivés en renfort. Devant la CPAM, une belle
prise de parole encourage le cortège présent (de syndiqués et de
retraités) à aller rejoindre les jeunes et les soutenir, par
nécessité, en toute logique. Dans une incertitude déterminée, ce
petit cortège se dirige finalement vers la cité étudiante.
12H : on arrive, deux jeunes à terre,
genoux en uniforme sur la gueule. Gazage. Le cortège "des
vieux" (c'est comme ça que dise "les jeunes") arrive
donc en soutien, et gonfle petit à petit. Devant le lycée, toujours
une barricade, plutôt belle, les jeunes sont là, à vif, très
mobiles, bravo. L'arrivée d'un cortège de syndiqués semble
compliquer un peu les manœuvres policières. Finalement, le
groupement gonfle un peu, l'atmosphère humide et laiteuse de la
mâtinée se dissipe, le soleil se pointe, et plusieurs prises de
parole ont lieu devant le lycée, l'AG interprofessionnelle à
finalement lieu. Pendant ce temps, à 200 mètres, des groupes
toujours aussi vifs de jeunes plus ou moins équipés se formes et se
déforment, jet de projectiles, gaz, ainsi de suite. Quelqu'un qui
prend la parole au micro dit que les vrais méchants ce ne sont pas
les flics, mais les Boloré, en brandissant une pancarte avec son
portrait. Qu'il ne sert à rien de s'en prendre aux flics, que les
méchants sont ailleurs. Oui sauf que sur place, c'est pas ailleurs,
et qu'en vérité, ce ne sont pas les jeunes qui s'en sont pris aux
flics à 7H30 du matin, mais l'inverse. Un texte pas trop mal sur une
grève nécessaire est lu à quatre voix. Puis vient la fin des
prises de paroles, et le groupement de syndiqués présents est
encouragé à rejoindre les jeunes 200 mètres plus loin, « pour
faire tampon » entre la jeunesse et l'autorité armée. C'est
ce qui se passe. Une belle foule mêlée de très jeunes, de jeunes,
de moins jeunes, de syndiqués, d'étudiants, se dirige alors vers le
cordon de flics. Les flics reculent. Et puis finalement non, après
un premier jet de projectiles qui n'atteindra personne, c'est une
nouvelle salve de gaz. Tout le monde recule. Certains appellent à
rejoindre la barricade pour protéger le blocus. Vers 15h, une
barricade est en feu, charge policière, gaz en masse, tirs tendus.
Un militant CGT sera blessé à la cuisse par un tir de flash-ball.
Pendant ce temps, une AG a lieu devant
la porte 4 du chantier naval. Une belle prise de parole est faite de
la part d'un docker. Entre nous court un bruit que je ne peux pas
encore partager à ce jour. C'est une question stratégique. Mais
partout, il est dit qu'il est temps de se retrouver, de se
réorganiser, de refaire les liens entre nous qui ont été
brisés depuis de nombreuses années, de discuter,d'échanger les numéros. Il y a environ 600 personnes sur
l'AG des dockers.
Ici, les industries semblent liées
plus qu'ailleurs, car ici, les infrastructures sont localisées,
localisables, il ne s'agit pas d'un point relié à un autre point
d'une région entière les séparant. Dans les AG qui ont précédé
cette journée de grève, il parait que tout le monde voulait un
« mai 68 ». Ce qui semble se jouer ici devrait tenir sur
le long terme. Il y a aussi un calendrier particulier avec lequel il
faut jouer, les vacances approchent, c'est ce qui est dit.
Le problème, ce sont peut-être les
écarts entre les corps en présence. Ceux qui sont pris par le
salariat et ses temporalités, et pensent pouvoir établir une grève
conséquente en respectant les temporalités du système en place, ce
sont aussi, parfois les difficultés matérielles sur place. Pas de
grand récit à tirer de cette journée, mais il semblerait qu'une
sorte de mur soit tombée entre deux mondes qui désormais pourraient
agir de concert s'ils s'en donnaient les moyens. Nous savons aussi
les stratégies à venir, ce qui a pu être évoqué à bas mots, ce
qui n'est pas publiable à ce jour, car la rumeur et la rue doivent
conserver leur opacité propre, c'est encore une des forces de la
plèbe, que de pouvoir conspirer sans avoir à rendre de compte. Ceci dit, petit bémol, aujourd'hui 11 mineurs sont encore en garde-à-vue et la cgt a, pour le moment, disparu.
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D’un quelconque agent de liaison
Hier, mardi 18 octobre 2022, était annoncé une journée de grève dans le secteur de l’énergie et dans les services publics. Localement, il a été décidé, par les syndicats appelant à la grève, de mener simultanément plusieurs piquets de grève. Chaque groupe est amené à discuter, se reformer, pour penser ce qui vient. Les principaux piquets de grève sont au lycée pro Aristide Briand, à la gare pour les cheminots, à la CPAM, sur le chantier naval. Il y a d'autres piquets dans d'autres boites un peu partout autour. Nous décidons de nous rendre à ces rassemblements, pour faire lien, entendre ce qui y est dit, pour prendre part, logiquement.
8h45 : on se rend au lycée A. Briand, bloqué par les étudiants. Nous arrivons sur place, une petite bande de flics gaz à tout-va. Sur place quelques membres de la CGT. On nous explique que les jeunes se sont fait gazer dès 7H30 ce matin. Les flics présents sur place semblent bien excités, on ne comprend pas trop pourquoi. Pourquoi tant de grenades lancées ? L'un des uniformes semble confondre son métier avec celui de dératiseur tant il se met, seul, à saturer une petite ruelle de gaz. Les flics sont devant le lycée. On les invective. On leur précise (au cas où) qu'ils sont en train de dégommer des enfants, des étudiants, des étudiants en grève, qui ont des choses à dire. L'un des nervis en uniforme nous précise toujours aussi nerveusement que ce ne sont pas des étudiants, mais des étudiants en puissance. Un ami a entendu « assassins en puissance ». Le commissaire arrive. Vu le nombre de grenades lancées, on commence à crier un peu fort. On demande si c'est ça l'égalité, on demande si c'est ça « à arme égales », l'un deux justifie l'acharnement armé par le fait que les jeunes jettent des cailloux. On constate qu'un caillou jeté correspond à une ou deux salves de multiples grenades, alors que l'air était déjà saturé de gaz. Il faut savoir que le lycée A. Briand est au milieu d'une cité étudiante. Ici, il y a des enfants, des mamans avec des poussettes, et des bébés dans les poussettes. Enfin, vous connaissez sûrement le tableau, qui n'a d'ailleurs aucun sens. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le blocus a été gazé dès 7H30 du matin, et suite à cela, les jeunes se sont énervés comme ils pouvaient, ils s'en sont donc pris au mobilier urbain, puis on dressé une barricade. Barricade qui tiendra presque toute la journée. Sur place une journaliste semble trouver normal qu'en réponse à un cailloux les flics tirent sur les étudiants. Avec de tel relais de l'autorité bas du front, on peut s'attendre à plusieurs articles foireux dans les journaux, ce qui ne manquera pas d'arriver. La journée commence comme ça. Déjà, nous sommes témoins d'un mensonge. Nous quittons ce piquet de grève aux alentours 10h pour rejoindre la gare. Au moment où nous partons, les flics semblent se croire dans Call of Duty, l'un d'eux constate qu'ils ont laissé leur voiture à 50 mètre un peu loin d'eux, moment de solitude. Le plus dégouttant, ça reste leur justification à leurs tirs incessant. On justifie toujours des actes terribles par des mensonges.
10H30 environ: devant la gare, l'AG des cheminots, avec sur la place la présence de différents corps de métiers, dont quelques blouses blanches, puis des non-encartés aussi. Prises de parole, la situation locale et nationale est explicitées. On parle de la nécessité de reconduire ce qui s'entame là, que le combat risque d'être long, et dur, et qu'il faudrait s'organiser (ou se réorganiser) en conséquence. Pas grand chose à dire de plus. Nous prenons le chemin direction le piquet de grève de la CPAM.
11H15 : devant la CPAM, AG également, prises de parole, constat partagé de la destruction de l'ensemble des services publics. On nous apprend que pas loin, à la cité étudiante, lycée A. Briand, ça regaz sévère. On apprend également sur place que l'AG interprofessionnelle qui était prévue devant le lycée est finalement annulée, car « là-bas c'est tendu », « difficile d'accès ». Mais rien n'est joué. Pendant ce temps, à 800 mètres, les jeunes tiennent, mais de nombreux flics sont arrivés en renfort. Devant la CPAM, une belle prise de parole encourage le cortège présent (de syndiqués et de retraités) à aller rejoindre les jeunes et les soutenir, par nécessité, en toute logique. Dans une incertitude déterminée, ce petit cortège se dirige finalement vers la cité étudiante.
12H : on arrive, deux jeunes à terre, genoux en uniforme sur la gueule. Gazage. Le cortège "des vieux" (c'est comme ça que dise "les jeunes") arrive donc en soutien, et gonfle petit à petit. Devant le lycée, toujours une barricade, plutôt belle, les jeunes sont là, à vif, très mobiles, bravo. L'arrivée d'un cortège de syndiqués semble compliquer un peu les manœuvres policières. Finalement, le groupement gonfle un peu, l'atmosphère humide et laiteuse de la mâtinée se dissipe, le soleil se pointe, et plusieurs prises de parole ont lieu devant le lycée, l'AG interprofessionnelle à finalement lieu. Pendant ce temps, à 200 mètres, des groupes toujours aussi vifs de jeunes plus ou moins équipés se formes et se déforment, jet de projectiles, gaz, ainsi de suite. Quelqu'un qui prend la parole au micro dit que les vrais méchants ce ne sont pas les flics, mais les Boloré, en brandissant une pancarte avec son portrait. Qu'il ne sert à rien de s'en prendre aux flics, que les méchants sont ailleurs. Oui sauf que sur place, c'est pas ailleurs, et qu'en vérité, ce ne sont pas les jeunes qui s'en sont pris aux flics à 7H30 du matin, mais l'inverse. Un texte pas trop mal sur une grève nécessaire est lu à quatre voix. Puis vient la fin des prises de paroles, et le groupement de syndiqués présents est encouragé à rejoindre les jeunes 200 mètres plus loin, « pour faire tampon » entre la jeunesse et l'autorité armée. C'est ce qui se passe. Une belle foule mêlée de très jeunes, de jeunes, de moins jeunes, de syndiqués, d'étudiants, se dirige alors vers le cordon de flics. Les flics reculent. Et puis finalement non, après un premier jet de projectiles qui n'atteindra personne, c'est une nouvelle salve de gaz. Tout le monde recule. Certains appellent à rejoindre la barricade pour protéger le blocus. Vers 15h, une barricade est en feu, charge policière, gaz en masse, tirs tendus. Un militant CGT sera blessé à la cuisse par un tir de flash-ball.
Pendant ce temps, une AG a lieu devant la porte 4 du chantier naval. Une belle prise de parole est faite de la part d'un docker. Entre nous court un bruit que je ne peux pas encore partager à ce jour. C'est une question stratégique. Mais partout, il est dit qu'il est temps de se retrouver, de se réorganiser, de refaire les liens entre nous qui ont été brisés depuis de nombreuses années, de discuter,d'échanger les numéros. Il y a environ 600 personnes sur l'AG des dockers.
Ici, les industries semblent liées plus qu'ailleurs, car ici, les infrastructures sont localisées, localisables, il ne s'agit pas d'un point relié à un autre point d'une région entière les séparant. Dans les AG qui ont précédé cette journée de grève, il parait que tout le monde voulait un « mai 68 ». Ce qui semble se jouer ici devrait tenir sur le long terme. Il y a aussi un calendrier particulier avec lequel il faut jouer, les vacances approchent, c'est ce qui est dit.
Le problème, ce sont peut-être les écarts entre les corps en présence. Ceux qui sont pris par le salariat et ses temporalités, et pensent pouvoir établir une grève conséquente en respectant les temporalités du système en place, ce sont aussi, parfois les difficultés matérielles sur place. Pas de grand récit à tirer de cette journée, mais il semblerait qu'une sorte de mur soit tombée entre deux mondes qui désormais pourraient agir de concert s'ils s'en donnaient les moyens. Nous savons aussi les stratégies à venir, ce qui a pu être évoqué à bas mots, ce qui n'est pas publiable à ce jour, car la rumeur et la rue doivent conserver leur opacité propre, c'est encore une des forces de la plèbe, que de pouvoir conspirer sans avoir à rendre de compte. Ceci dit, petit bémol, aujourd'hui 11 mineurs sont encore en garde-à-vue et la cgt a, pour le moment, disparu.