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TOUS DEHORS


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30/05/2022

À contre-courant de l’optimisme du début des années 1970 quant aux possibilités d’un bouleversement révolutionnaire, avec Apocalypse et révolution [1973], dont le petit texte qui suit est extrait, Giorgio Cesarano et Gianni Collu ont été parmi les premiers à tirer la sonnette d’alarme sur l’imminente défaite du mouvement ouvrier. Leurs analyses pionnières avaient en effet bien saisi comment le rapport social capitaliste était en passe de triompher sur toute autre forme d’agrégation humaine. S’érigeant en totalité, la rationalité économique venait à confondre sa propre survie avec celle de la terre et de l’espèce humaine elle-même. Quarante ans plus tard, alors que le monde est toujours plus dévasté par les ravages d’une accumulation suicidaire qui ne profite qu’à une infime minorité, le pessimisme de ces deux auteurs frappe par son caractère contemporain. Pour notre génération qui refuse de se soumettre à la possibilité d’une apocalypse climatique, l’équation est aussi simple qu’elle appelle à une lutte tragique pour notre propre survie. On peut la résumer de la manière suivante : ou bien l’abolition de la dictature de l’économie ou bien la mort.

La limite toujours plus proche de son expansion planétaire impose au capital d’inventer un nouveau monde alors que le monde est sur le point de « finir ». Guerre, guérillas, campagnes de libération nationale, bagarres électorales pour l’élection (ou l’exécution capitale) de tel ou tel fonctionnaire superstar - tous également utilisables en tant que fonctionnels s’amoncellent pêle-mêle sur les écrans de ses oracles de verre, en une mêlée où s’enchevêtrent au même titre les carnages du weekend, ceux des Indiens et ceux causés par les insecticides, les carrousels concernant la nouvelle qualité de la vie, les débats sur cette qualité, les psychodrames sur la perte de cette qualité. Au service d’une politique qui troque la critique de tout contre la victoire du Rien, des engrenages fictifs et réels, indiscernables les uns des autres, entraînent dans leurs mécanismes, en même temps que les corps d’un prolétariat toujours plus surabondant, l’imagination en lambeaux qui voulut vivre une vraie vie, l’illusion morcelée de se battre pour une question de vie ou de mort, tandis que c’est la mort qui gagne du terrain, inaperçue dans la survie quotidienne de chacun.