À contre-courant de l’optimisme
du début des années 1970 quant aux possibilités d’un bouleversement
révolutionnaire, avec Apocalypse et révolution [1973], dont le petit
texte qui suit est extrait, Giorgio Cesarano et Gianni Collu ont été parmi les
premiers à tirer la sonnette d’alarme sur l’imminente défaite du mouvement
ouvrier. Leurs analyses pionnières avaient en effet bien saisi comment le
rapport social capitaliste était en passe de triompher sur toute autre forme
d’agrégation humaine. S’érigeant en totalité, la rationalité économique venait
à confondre sa propre survie avec celle de la terre et de l’espèce humaine
elle-même. Quarante ans plus tard, alors que le monde est toujours plus dévasté
par les ravages d’une accumulation suicidaire qui ne profite qu’à une infime
minorité, le pessimisme de ces deux auteurs frappe par son caractère
contemporain. Pour notre génération qui refuse de se soumettre à la possibilité
d’une apocalypse climatique, l’équation est aussi simple qu’elle appelle à une
lutte tragique pour notre propre survie. On peut la résumer de la manière
suivante : ou bien l’abolition de la dictature de l’économie ou bien la
mort.
La limite toujours plus proche de
son expansion planétaire impose au capital d’inventer un nouveau monde alors
que le monde est sur le point de « finir ». Guerre, guérillas,
campagnes de libération nationale, bagarres électorales pour l’élection (ou
l’exécution capitale) de tel ou tel fonctionnaire superstar - tous également
utilisables en tant que fonctionnels s’amoncellent pêle-mêle sur les écrans de
ses oracles de verre, en une mêlée où s’enchevêtrent au même titre les carnages
du weekend, ceux des Indiens et ceux causés par les insecticides, les
carrousels concernant la nouvelle qualité de la vie, les débats sur cette
qualité, les psychodrames sur la perte de cette qualité. Au service d’une
politique qui troque la critique de tout contre la victoire du Rien, des
engrenages fictifs et réels, indiscernables les uns des autres, entraînent dans
leurs mécanismes, en même temps que les corps d’un prolétariat toujours plus
surabondant, l’imagination en lambeaux qui voulut vivre une vraie vie, l’illusion
morcelée de se battre pour une question de vie ou de mort, tandis que c’est la
mort qui gagne du terrain, inaperçue dans la survie quotidienne de chacun.