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TOUS DEHORS








25/03/2022

Plus qu’une véritable analyse de la guerre, ce texte nous a paru important car il propose des hypothèses pour se ressaisir d’une situation qui nous échappe largement. Il a d’abord été publié en italien sur vitalista.in


Ce monde à l'agonie est entré dans une nouvelle époque dans laquelle on voit s’affronter des puissances impériales qui détiennent le pouvoir de mettre fin au monde.

Nous dressons cette courte liste d'idées au 28e jour de l'invasion russe en Ukraine. Elles doivent être comprises comme des contributions destinées à être discutées, corrigées et surtout mises en pratique au plus vite.



1. Actuellement, l'avant-garde du mouvement anti-guerre se trouve en Russie, en Ukraine et en Biélorussie. Des protestations individuelles et collectives dans des dizaines de villes : désertions, marches, sabotage des lignes ferroviaires où circulent les véhicules militaires, attaques de centres de recrutement. Dans les territoires occupés par l'avancée russe, les habitants défient la machine de guerre par des protestations courageuses. En Russie, les milliers de personnes arrêtées par le pouvoir méritent notre attention et notre solidarité.

2. La Russie et la Chine ne sont pas des éléments extérieurs au schéma mondial de domination capitaliste. Prétendre qu'ils représenteraient un rempart contre la totalisation néolibérale de l'Occident est une erreur.

3. S’opposer à son propre impérialisme demande de s’opposer en même temps à tous les impérialismes. Vouloir déterminer qui de l'OTAN ou de la Russie a commencé les hostilités en premier n’est pas pertinent, car cela ne fournit pas d'éléments utiles à ceux qui tiennent à l'internationalisme, à la solidarité entre les classes subalternes et à l'autodétermination des peuples. Nous rejetons le point de vue de ceux qui sont obsédés par la raison d’État.

4. L'OTAN et l’OTSC cherchent à structurer et à stabiliser leur propre régime. Les deux alliances militaires renforcent le contrôle et la répression sur leurs populations respectives en s'engageant dans des conflits ouverts, des interventions par procuration, des alliances ou des adversités mutuelles. Sans l'OTAN, la tyrannie de Poutine bascule. Sans Poutine, la coalition de l'OTAN s'effondre.

5. Il existe une différence ontologique et matérielle entre ceux qui gouvernent (et ceux qui s'identifient à leur gouvernement), et ceux qui sont soumis aux choix des gouvernements, à leurs cortèges de morts, tout en vivant et en s'identifiant à la vie ; et qui doivent donc choisir leur combat.

6. Il convient de souligner le rôle de gendarme de la Russie dans le déferlement réactionnaire contre les révoltes et les insurrections en Biélorussie (2019/2020) au Kazakhstan (2022) et au Kirghizstan (2020). Ces tensions sociales légitimes dans le bloc d'influence russe ont été "résolues" par l'intervention militaire des troupes de Moscou ou par l'agitation de son spectre (Kirghizstan). Les internationalistes sont attentifs aux soulèvements populaires et examinent attentivement les dynamiques et les formes d'organisation qui s'y expriment.

7. Plus la main de fer est forte, plus son emprise sur les êtres est faible. L'arrogance de l'envahisseur ne considère pas que certains seront toujours prêts à défendre le territoire qu'ils habitent. La résistance ukrainienne que nous examinons n'est pas celle de l'armée régulière ni celle des formations paramilitaires d'extrême droite (d’ailleurs également présentes du côté russe), mais celle, sous toutes ses formes et dans toutes ses dimensions, de ceux qui ont choisi de résister, pour défendre leur vie, leur terre ou pour garder ouverte la possibilité de se battre demain.

8. La spirale médiatique et l’Infowar représentent un dispositif de capture. L'absolutisme des lectures géopolitiques y prolifère. Applaudir sans avoir à assumer la responsabilité matérielle de sa position est un privilège de la société et de la vie bourgeoise ou d'une bonne position dans la pyramide sociale. Fermons Twitter, Telegram, éteignons la télévision, recommençons à nous rencontrer et à parler dans les rues et sur les places. C’est seulement collectivement que nous sommes capables de produire une vision du monde partisane. Le bruit de fond journalistique est l'ennemi de la solidarité internationaliste.

9. Derrière le commentaire stratégique, derrière le discours du conflit des intérêts entre États, la nature de la guerre est crue. D'un côté, les meurtres, les enfants qui se cachent dans des caves, les familles qui dorment par centaines sous les ponts, le manque de médicaments, d'électricité, de sommeil. De l'autre, loin du territoire où se déroule le conflit, mais à l'intérieur des frontières des États participant à l'effort de guerre, il y a l'augmentation du coût de la vie, le rationnement, la propagande et le développement de la répression interne. Et si c'est déjà la réalité pour d'innombrables populations dans le monde, c'est uniquement parce que la société est organisée en classes, et que le pouvoir des classes dirigeantes structure cette soi-disant “paix” de la société.

10. Cette guerre n'est pas comme les autres. Le parallélisme et la relativisation ne tiennent compte ni de la gravité de la situation, ni du changement d'époque. Elle se préparait d’ailleurs depuis au moins 30 ans. L'existence même des armes nucléaires met la planète en danger. L'incrédulité et l'inertie face à la catastrophe atomique néglige le fait que l'Occident a perdu de sa centralité. Croire que les bombes atomiques ne tomberont jamais sur Rome équivaut à se fier au bon sens et au bon cœur des classes dirigeantes. C’est refuser de comprendre la différence entre toi et un riche capitaliste. Lui, a un autre endroit où aller. Toi non.

11. L'antinazisme et l'antifascisme institutionnels se dévoilent comme des outils de propagande au service des intérêts patronaux, quel que soit l'État qui les utilise. Qu'il s'agisse de dénazifier l'Ukraine ou de stopper l'avancée d’un "nouvel Hitler" comme Poutine, ils servent les guerres, les impérialismes et la militarisation. Ils n’ont d’ailleurs que peu ou rien à voir avec la fraternité et la sororité : aucune adhésion prolétarienne à l'un ou l'autre discours de propagande de guerre n’est envisageable. Au contraire, seules la solidarité et la complicité entre les résistances permettent d'améliorer la lutte mondiale contre le fascisme. Ce n'est qu'à travers la solidarité et la complicité que nous affronterons notre tâche spécifique : créer le véritable état d'exception, la véritable rupture avec la paix sociale qui soutient la guerre des empires et la ruine commune de la planète.

12. Développer des stratégies de lutte et d'opposition à la guerre signifie assumer les rapports de force que l'on est en mesure de produire et les opportunités que l'on est capable de saisir là où l’on a l’habitude d’agir. S'il existait un mouvement capable de faire cela, il serait également capable de saisir sans équivoque les besoins des exploités et de mettre en place une stratégie capable d’identifier les vraies priorités. En attendant, l'essentiel du débat au sein de ce qu’il reste du mouvement révolutionnaire occidental ne parvient que rarement à surmonter l'aliénation de sa position marginale et à esquisser une perspective adaptée à l'époque. 



Des anti-autoritaires pour la solidarité internationale.