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08/04/22
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22/04/22
Des amis de Tous Dehors
Il y
a quelques semaines, nous sommes quelques amis à nous être rendus
spontanément dans l'ouest de l'Ukraine pour y retrouver des
connaissances. Les personnes que nous connaissons sur place
accueillent toutes des réfugiés "internes" qui fuient les
combats plus à l'est. Comme beaucoup ne veulent pas quitter le pays,
ils sont nombreux à rester à l'ouest dans l'espoir que la guerre se
termine vite. Nous venions donc avec l'idée d'apporter un peu d'aide
pour faire à manger et réaliser de menus travaux pour permettre à
ceux qui le veulent de rester sur place plus longtemps. Évidemment,
nous souhaitions aussi aller en Ukraine pour voir et entendre les
choses autrement que par le biais des médias traditionnels. Avoir
été partie prenante des différents mouvements sociaux ou
insurrectionnels de ces dernières années nous a trop habitués à
ce qu'ils distordent la perception ou qu'ils reconstruisent un réel
que nous n'acceptons pas. Le Covid et les confinements successifs
nous ont trop appris à quel point la perception du réel et la
présence sensible étaient en eux-mêmes des objets de lutte.
Combien il était décisif, aussi, de sortir de chez soi. Sans que
l'on se dise tout cela, il nous a donc semblé évident d'aller
retrouver nos connaissances afin de tisser un plan de solidarité qui
dépasse les cagnottes en ligne et met de côté les grandes
déclarations géopolitiques abstraites. Vous pouvez retrouver
quelques récits de notre voyage sur un blog sans prétention créé
pour l'occasion (https://icitranscarpatie.wordpress.com/). Ici, vous
trouverez une brève note sur le restaurant d'un village, transformé
en cantine gratuite depuis plus d'un mois.
Dans
le village où nous sommes, il y aurait entre 500 et 800 réfugiés.
Les chiffres exacts sont impossibles à donner car beaucoup logent
chez l’habitant et ne se déclarent pas forcément auprès de la
mairie. D’abord parce que certains hommes ne veulent pas voir leurs
noms dans les registres, de peur d’être appelés en réserve ou à
la défense territoriale. Ensuite parce que tout le monde n’a pas
l’intention de rester longtemps ici : certains espèrent
retourner chez eux, à l’est (la plupart viennent de Kiev), au plus
vite ; d’autres sont ici en attendant de trouver un pays ou
une destination plus à l’ouest où ils pourront se poser. En tous
les cas, ça fait du monde. Des groupes logent au jardin d’enfant,
d’autres dans l’école du village. Rien n’est parfait, mais
c’est mieux que rien. De notre côté, nous sommes allés donner un
coup de main au restaurant du village, transformé en cantine
gratuite qui nourrit deux fois par jour entre 80 et 120 personnes.
Le
restaurant a ouvert l’année passée, les cuisines sont neuves, ça
nous change des cantines mobiles : une planche de chaque couleur pour
chaque ingrédient, des couteaux qui coupent; bref, du matériel
professionnel. L’équipe aussi est bien rodée : une équipe de
femmes, dont deux travaillaient déjà au restaurant avant la guerre.
Les autres sont des réfugiées qui viennent aider tous les jours.
Certaines viennent en cuisine depuis le début et une certaine
familiarité a déjà émergé, même si l’ambiance est parfois
lourde, en fonction des nouvelles du front mais aussi de
l’incertitude qui plane autour de l’avenir. La plupart ont laissé
leur travail, à Kiev ou ailleurs, et ne savent absolument pas où
aller. On parle un peu avec elles dans la cuisine, mais il se passe
autre chose, à côté des mots. Comme si la solidarité dans ce
genre de situation était évidente, sans phrase : pas besoin de
l’expliquer, elle se donne au rythme des boulettes de viande, des
soupes, des petits biscuits secs que les gens peuvent emporter chez
eux. Pas question de s’en tenir au strict nécessaire : on peut
encore se permettre le petit geste et l’ingrédient qui mettent les
gens bien. Le midi, le service est à l’assiette; le soir, on sert
des tablées entières. On se croirait au restaurant, sauf que
l’ambiance n’est pas toujours joyeuse et que c’est gratuit.
À
vrai dire, notre aide n’est pas nécessaire : la cantine pourrait
largement fonctionner sans nous. Mais l’ambiance est bonne avec
l’équipe et on se dit qu’on va continuer à venir dès qu’on
peut.
Les
médias parlent beaucoup des néo-nazis qui combattent avec les
ukrainiens dans le bataillon Azov, de la résistance « héroïque »
des soldats, etc. Certes, la résistance armée est une nécessité,
et les bataillons qui s’organisent maintenant construisent sans
doute aussi le rapport de force qui ne manquera pas d’exister à la
fin de la guerre. Mais il ne faudrait pas oublier alors toutes les
autres formes de résistance et de sensibilités qui, malgré tout,
s’organisent ensemble pour faire face à la situation : se loger,
se nourrir, s’entraider. Évidemment, on aurait vite fait de ranger
tout cela dans la catégorie de l’aide humanitaire, reste à voir
en quoi celle-ci est toujours dépassée par autre chose.
Parfois,
entre deux patates à découper, on se prend à s’imaginer que
cette situation exceptionnelle se retourne en autre chose, que les
restaurants demeurent gratuits après la guerre, avec des équipes
tournantes et des produits venant d’un peu partout pour nourrir
toutes celles et ceux qui le veulent. Bref, de l’auto-organisation
comme on peine à la faire exister en temps de paix.
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22/04/22
Des amis de Tous Dehors
Il y a quelques semaines, nous sommes quelques amis à nous être rendus spontanément dans l'ouest de l'Ukraine pour y retrouver des connaissances. Les personnes que nous connaissons sur place accueillent toutes des réfugiés "internes" qui fuient les combats plus à l'est. Comme beaucoup ne veulent pas quitter le pays, ils sont nombreux à rester à l'ouest dans l'espoir que la guerre se termine vite. Nous venions donc avec l'idée d'apporter un peu d'aide pour faire à manger et réaliser de menus travaux pour permettre à ceux qui le veulent de rester sur place plus longtemps. Évidemment, nous souhaitions aussi aller en Ukraine pour voir et entendre les choses autrement que par le biais des médias traditionnels. Avoir été partie prenante des différents mouvements sociaux ou insurrectionnels de ces dernières années nous a trop habitués à ce qu'ils distordent la perception ou qu'ils reconstruisent un réel que nous n'acceptons pas. Le Covid et les confinements successifs nous ont trop appris à quel point la perception du réel et la présence sensible étaient en eux-mêmes des objets de lutte. Combien il était décisif, aussi, de sortir de chez soi. Sans que l'on se dise tout cela, il nous a donc semblé évident d'aller retrouver nos connaissances afin de tisser un plan de solidarité qui dépasse les cagnottes en ligne et met de côté les grandes déclarations géopolitiques abstraites. Vous pouvez retrouver quelques récits de notre voyage sur un blog sans prétention créé pour l'occasion (https://icitranscarpatie.wordpress.com/). Ici, vous trouverez une brève note sur le restaurant d'un village, transformé en cantine gratuite depuis plus d'un mois.
Dans le village où nous sommes, il y aurait entre 500 et 800 réfugiés. Les chiffres exacts sont impossibles à donner car beaucoup logent chez l’habitant et ne se déclarent pas forcément auprès de la mairie. D’abord parce que certains hommes ne veulent pas voir leurs noms dans les registres, de peur d’être appelés en réserve ou à la défense territoriale. Ensuite parce que tout le monde n’a pas l’intention de rester longtemps ici : certains espèrent retourner chez eux, à l’est (la plupart viennent de Kiev), au plus vite ; d’autres sont ici en attendant de trouver un pays ou une destination plus à l’ouest où ils pourront se poser. En tous les cas, ça fait du monde. Des groupes logent au jardin d’enfant, d’autres dans l’école du village. Rien n’est parfait, mais c’est mieux que rien. De notre côté, nous sommes allés donner un coup de main au restaurant du village, transformé en cantine gratuite qui nourrit deux fois par jour entre 80 et 120 personnes.
Le restaurant a ouvert l’année passée, les cuisines sont neuves, ça nous change des cantines mobiles : une planche de chaque couleur pour chaque ingrédient, des couteaux qui coupent; bref, du matériel professionnel. L’équipe aussi est bien rodée : une équipe de femmes, dont deux travaillaient déjà au restaurant avant la guerre. Les autres sont des réfugiées qui viennent aider tous les jours. Certaines viennent en cuisine depuis le début et une certaine familiarité a déjà émergé, même si l’ambiance est parfois lourde, en fonction des nouvelles du front mais aussi de l’incertitude qui plane autour de l’avenir. La plupart ont laissé leur travail, à Kiev ou ailleurs, et ne savent absolument pas où aller. On parle un peu avec elles dans la cuisine, mais il se passe autre chose, à côté des mots. Comme si la solidarité dans ce genre de situation était évidente, sans phrase : pas besoin de l’expliquer, elle se donne au rythme des boulettes de viande, des soupes, des petits biscuits secs que les gens peuvent emporter chez eux. Pas question de s’en tenir au strict nécessaire : on peut encore se permettre le petit geste et l’ingrédient qui mettent les gens bien. Le midi, le service est à l’assiette; le soir, on sert des tablées entières. On se croirait au restaurant, sauf que l’ambiance n’est pas toujours joyeuse et que c’est gratuit.
À vrai dire, notre aide n’est pas nécessaire : la cantine pourrait largement fonctionner sans nous. Mais l’ambiance est bonne avec l’équipe et on se dit qu’on va continuer à venir dès qu’on peut.
Les médias parlent beaucoup des néo-nazis qui combattent avec les ukrainiens dans le bataillon Azov, de la résistance « héroïque » des soldats, etc. Certes, la résistance armée est une nécessité, et les bataillons qui s’organisent maintenant construisent sans doute aussi le rapport de force qui ne manquera pas d’exister à la fin de la guerre. Mais il ne faudrait pas oublier alors toutes les autres formes de résistance et de sensibilités qui, malgré tout, s’organisent ensemble pour faire face à la situation : se loger, se nourrir, s’entraider. Évidemment, on aurait vite fait de ranger tout cela dans la catégorie de l’aide humanitaire, reste à voir en quoi celle-ci est toujours dépassée par autre chose.
Parfois, entre deux patates à découper, on se prend à s’imaginer que cette situation exceptionnelle se retourne en autre chose, que les restaurants demeurent gratuits après la guerre, avec des équipes tournantes et des produits venant d’un peu partout pour nourrir toutes celles et ceux qui le veulent. Bref, de l’auto-organisation comme on peine à la faire exister en temps de paix.